BLOY Léon (1846-1917)

Léon Bloy © Succession Bloy

Léon BLOY, écrivain [1846-1917]

« Vous en connaissez, pourtant, un rayon sur ces écrivains ayant le sens aigu de l’inhospitalité. Les Barbey d’Aurevilly, les Céline, les Claudel. Vous avez pris le goût de ces lectures roboratives, de ces bains en mer violente, de ces catchs étourdissants qui ressemblent à des luttes avec l’ange. Mais là, avec Bloy, vous voilà devant le maître absolu des belluaires, des rouleaux compresseurs, des mastodontes. On est prié de remiser ses petites manières, sa pente au dandysme, ses coquetteries, ses rêveries dilettantes : dans un instant les coups de marteau vont pleuvoir sur des demi-pensées, les joliesses, les circonvolutions derrières lesquelles vous vous protégez. Dans un instant vous serez mis à nu. »

 

« Le feu des phrases ne doit pas empêcher de repérer la parfaite rigueur de la pensée qui les sous-tend. L’instrument stylistique ne serait rien sans l’armature conceptuelle et spirituelle qui l’étaye et l’oriente. La sûreté et la véhémence du trait ne proviennent pas seulement d’un tempérament mais d’abord d’une formation implacable du regard et de pensée. »

Emmanuel GODO, Léon Bloy écrivain légendaire,
« Introduction », Paris, Les éditions du Cerf, 2017, p. 11 & 29.
« Ce visage qui vous trouble vraiment, le regard qui est extrêmement pénétrant  à l’image de ce qu’il écrit, les phrases, les pages de Bloy nous traversent et nous transpercent et je crois qu’il n’y a pas de césure chez cet écrivain là entre la personnalité, l’être intime et ce qu’il écrit, il est entier. »
 

« C’est une voix ; Bloy c’est un style reconnaissable entre tous, une maestria extraordinaire, c’est un des prosateurs les plus merveilleux de la langue française, même ses ennemis, je crois, en conviennent, il a une écriture d’une force inouïe. Ce qui est frappant, c’est que l’on va avoir tendance à le réduire à son rôle de pamphlétaire et à son rôle de vociférateur. Il s’est lui-même reconnu comme un belluaire, comme un démolisseur, un entrepreneur de démolition, un exégète des lieux communs donc quelqu’un qui va attaquer la pensée de son temps, de front. Ce qui me frappe moi, c’est l’unité de cette oeuvre, c’est-à-dire qu’il y a une très grande force qui ne tient pas simplement à une inspiration, une virtuosité, un talent, un génie, on peut appeler cela comme on veut, mais il y a une vraie pensée chez Bloy, elle est d’une cohérence inouïe et c’est çà qui frappe. »

 
Emmanuel GODO, interview sur RCJ du 27 octobre 2017
Au sujet de son ouvrage Léon Bloy, écrivain légendaire, Le Cerf
 

« Bloy est l’homme qui a écrit qu’on est toujours du bon côté quand on est avec ceux qui souffrent la persécution et l’injustice ; qui a dit que ce qu’il y a de plus incompréhensible au monde, c’est la patience des pauvres ; qui s’est avoué en communion d’impatience avec tous les révoltés, tous les déçus, tous les inexaucés, tous les damnés de ce monde. Il est aussi celui qui n’a cessé de répéter que tout est adorable, parce que rien n’est en dehors du plan divin ; et qui dans sa jeunesse avait compris un jour, pour toute sa vie, que l’homme a des endroits de son pauvre cœur qui n’existent pas encore et où la douleur entre afin qu’ils soient… »

 

Albert Béguin, écrivain (1901-1957), Léon Bloy l’Impatient, L.U.F., 1944


« Au reçu de votre lettre, j’ai coupé les feuilles de L’Invendable et la lecture m’en a tellement passionné que je n’ai pu l’abandonner et ai lu presque toute une nuit, jusqu’à la fin.
Il serait, n’est-ce-pas, tout à fait imbécile de vous dire que j’ai retrouvé dans L’Invendable le superbe écrivain et le noble artiste déjà vu dans d’autres œuvres ; cela vous le savez bien, et le témoignage d’un simple musicien ne serait que pour vous faire sourire. Mais ce que j’ai trouvé de plus beau dans L’Invendable (et ce témoignage-là vous ne le refuserez pas)  c’est la joie rare de faire connaissance avec un homme de cœur et de courage, n’ayant pas peur de dévoiler toute sa pensée et, malgré des sévérités parfois cruelles, rempli d’une tendresse si exquise que j’en ai été profondément ému. »

 

Vincent D’Indy, Lettre à Léon Bloy, septembre 1909


 

3 novembre 1917 : Mort de Léon Bloy

« Un siècle… plein de cosaques mais plein aussi de Saint-Esprit

Il faut entrer chez Bloy comme dans une famille, et c’est ainsi que je le tiens pour le chef de mon Ordre à moi, qui suis laïc, cherchant dans ses ouvrages le point de départ de ma généalogie spirituelle, la source d’où tout mon XXe siècle a jailli, le charisme dans son état brut, l’intuition décisive toute plissée encore, sanguinolente, bourrue, intempestive, en plein travail d’enfantement. C’est le fil qui me tient, et ma fidélité, mon sang bleu, mon panache, et je ne crains personne…

Il y a des choses que je ne peux pas faire après lui (et par exemple un rond de jambe ou une bonne affaire, une conversation mondaine, un plouf dans un bénitier, parler pour ne rien dire, une carrière…), il y a des voies sacrées qui seraient restées condamnées sans La Femme Pauvre, Le Salut par les Juifs – sans sa hache et ses premières brèches. 

Je suis de Bloy ; je ne suis pas de Bernanos ou de Céline ; c’est ainsi que ça marche, les choses de l’esprit, la fructification des affinités électives, la grâce dans la liberté de ses rebonds et la trame de ses ricochets.

[…]

Ses livres ont toujours emprunté les chemins les plus inattendus et les moins balisés : j’imagine qu’il veille encore de près sur leur trajet. […] 

Respecter la distance : j’ai gardé pour occuper l’éternité quelques sujets de désaccord dont nous deviserons un jour, calmement et dans la vision, dans quelque coin du ciel ; rien ne presse. 

Aller à l’essentiel : le temps a emporté la gangue « fin de siècle », et à travers l’amplification dramatique des formes, le tri s’opère comme intuitivement entre les versets aurifères et ceux qu’on lui pardonne. 

Surtout ne pas chercher à imiter : la parodie de Bloy, ce n’est pas simplement une faute de style, c’est un blasphème.

Être de Bloy, c’est d’abord attendre Quelqu’un, et laisser grandir l’impatience, ne jamais abandonner longtemps la tour de gué, et harceler la Providence, la tutoyer, la rudoyer, la supplier d’accorder toujours quelque signe nouveau. Et c’est aussi oser interpréter, aux chances et aux périls d’une sémiologie surnaturaliste : où en est-on de la nuit, et de quelle station s’approche le cortège, le cortège toujours triomphal de la croix ? Et quand l’attente s’use, quand l’âme trop satisfaite d’elle-même fait valoir ses droits au repos et à la stupide quiétude, il faut d’urgence retrouver Léon Bloy pour réapprendre à attendre. […] »

 

Michel FOURCADE
Texte publié initialement avec quelques variantes dans un livre d’Art de Nicolas ROZIER
(gravures représentant divers écrivains avec textes en regard) 
Tombeau pour les rares, Ed. de Corlevour, 2010, p. 33-35.

«Voilà un homme d’une rare puissance verbale, le plus somptueux écrivain de notre temps, dont les livres atteignent, parfois, à la beauté de la Bible. Ne cherchez ni dans Chateaubriand, ni dans Barbey d’Aurevilly, ni dans Flaubert, ni dans Villiers de l’Isle-Adam, une prose plus architecturale, d’une forme plus riche, d’un modelé plus savant et plus souple. Dans quelques pages du Désespéré, par-delà d’antipathiques violences et des malédictions disproportionnées, il s’est élevé jusque vers les plus hauts sommets de la pensée humaine. Pour peindre des êtres et des choses, il a, souvent, trouvé d’étonnantes, de fulgurantes images qui les éclairent en profondeur et pour jamais. […]

Comme il n’y a plus de désert, Léon Bloy a trouvé un silo. Il s’est creusé lui-même la fosse de ses mains ; il a creusé son corps d’ulcères liturgiques, il a bordé sa fosse de culs de bouteilles, de clous, d’excréments déclamatoires pour la rendre inaccessible, pour être plus nu, pour être plus seul avec son humilité sainte et son saint orgueil, plus seul avec Dieu. De cette fosse, il jette aux passants des bouses de lumière et d’éternité, des haines d’or, le verbe le plus sauvage et le plus magnifique, lourd et pénétrant comme la lave et l’aérolithe. Le pire sadisme pour les martyrs, c’est d’avoir l’air de bourreaux : Léon Bloy a réussi. Confesseur de la Pauvreté, de la Mort, de la Foi, portier farouche de la Porte de Vie, voilà l’homme que j’ai essayé d’admirer ce soir.»

Octave MIRBEAU

Le Journal , 13 juin 1897


Les choix d’Alexis GALPÉRINE, arrière petit-fils de Léon Bloy

 

« Il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints. »

La Femme pauvre, phrase conclusive. 

 
« L’histoire des Juifs barre l’histoire du genre humain comme une digue
barre un fleuve, pour en élever le niveau. » 

Le salut par les juifs


Le choix de Jean-Marie BARBICHE, conservateur de la Médiathèque Pierre Fanlac

Exégèse des lieux Communs, LXXXII Le Fanatisme

 

« Le Fanatisme, c’est de prononcer oui ou non sur n’importe quoi. Il n’y a pas d’autre définition. “ Que votre discours soit : Oui, oui ; Non, non ; tout ce qui se dit de plus vient du diable. ” Telle est la formule du fanatisme dans le Sermon sur la Montagne. Vous voyez combien c’est simple. Seulement il faut savoir.

Quand on vous demande : Êtes-vous chrétien ? si vous répondez : Oui, sans périphrase, vous êtes un fanatique. Si vous répondez : Non, vous êtes encore un fanatique. Si vous ne répondez pas du tout, on vous soupçonnera du fanatisme le plus dangereux. Et il en sera de même s’il s’agit de tout autre chose que de religion.

En général, le laconisme, la concision et, conséquemment, toute espèce de précision est soupçonnable de fanatisme et les fagots s’allument d’eux-mêmes. Un sectaire capable de vociférer avec abondance, un avocat braillard, un député loquace et même ventriloque, un saltimbanque sur son tréteau ne seront jamais des fanatiques. Je pense que cela n’a pas besoin de plus ample démonstration. »


 

 

Dossiers

Centenaire de la mort de Léon Bloy (1846-1917)

 

Médiathèque Pierre Fanlac, Périgueux, samedi 21 octobre 2017

 

 

 
 
Exposition de la Médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux avec des documents sur Léon Bloy
Quelques uns des ouvrages disponibles sur l’écrivain
 
 Tous nos remerciements à Benjamin FAYET qui nous autorise l’usage des 5 photos © qui précèdent

La photo de la lettre datée du 10 mai 1967, de Madame Denise Robin, alors Directrice de la Bibliothèque de Périgueux,
nous a été remise par les services de la Médiathèque Pierre Fanlac, avril 2018.

 

  Panneau généalogique de Léon Bloy réalisé © par le Cercle de Généalogie du Périgord  

 


 

 

Retour à Périgueux

Alexis Galpérine
novembre 2017

21 octobre 2017 : une date parmi tous les évènements qui se bousculent en cet automne où l’on commémore le centenaire de la mort de Léon Bloy (le 3 novembre 1917). Ce jour-là c’est la ville natale de l’écrivain qui lui rend hommage, et pour moi il ne s’agit pas d’un déplacement comme un autre. J’effectue une sorte de voyage dans le passé, celui, bien-sûr, des premières années de Bloy, mon arrière-grand-père, mais aussi – qu’on me pardonne le point de vue personnel et sentimental – celui de ma propre enfance.

C’est, en effet, en l’automne 1967 que mes grands-parents (qui m’élevaient et se chargeaient de mon éducation musicale) m’emmenèrent à Périgueux à l’occasion des cérémonies du cinquantenaire. J’allais même me produire pour la première fois en public avec mon grand-père, l’illustre organiste Edouard Souberbielle, à la tribune de Saint-Front. J’avais douze ans, et Léon Bloy ne vivait alors, dans mon imaginaire, qu’à travers les récits de famille et aussi à travers les mille signes de mon environnement : les meubles et les livres qui furent les siens et qui constituaient le décor ordinaire de ma vie quotidienne. Je l’ai souvent dit : j’ai commencé ma vie de musicien à l’ombre du massif « bureau jaune » de Léon Bloy ; j’ai presque envie de dire sous son ombre protectrice. On l’aura compris, cette présence réelle, dans la brume des souvenirs lointains, tout à la fois flous et précis car opérant de surprenants « arrêts sur image », n’a cessé, depuis lors, de m’accompagner. En 67, ma grand’mère, Madeleine Bloy, me tenait la main (l’autre main saisissant fermement ma boîte à violon) dans les rues de Périgueux. En 2017, je revenais dans les mêmes quartiers de la ville, mon fils Nicolas marchant à mes côtés.

  De gauche à droite, Madeleine Bloy-Souberbielle (Fille de Léon Bloy), Alexis Galpérine (arrière-petit-fils de Léon Bloy), Pierre Fanlac (Écrivain, éditeur), Edouard Souberbielle (Organiste, gendre de Léon Bloy), Yves Guéna (Ministre des Postes et Télécommunications), Lucien Barrière (Maire de Périgueux), Monseigneur Jacques Patria (Évêque de Périgueux et Sarlat).

Nos remerciements à la Médiathèque Pierre Fanlac et à son Conservateur M. Jean-Marie Barbiche

 

Ce n’était pas mon premier retour en Périgord. J’avais donné des récitals, par deux fois, au théâtre, toujours dans le cadre d’évènements bloyens : une première fois avec le pianiste Jean-Louis Haguenauer (nous avions créé, entre autres choses, deux mélodies de Madeleine que j’avais transcrites pour violon, et la sonate d’Auric), et la deuxième fois avec le compositeur Carlos Roqué-Alsina (un programme Franck, Debussy, Beethoven). Cependant, le troisième « pèlerinage » – sans doute parce que je venais sans mon violon, compagnon légèrement tyrannique et envahissant ! – autorisait la rêverie et revêtait par là un caractère différent. Effet de l’âge ? J’étais bien décidé, en ces heures là, à mettre mes pas dans les traces laissées par le premier voyage, cinquante ans auparavant.

Le « Fenestreau », la rue Séguier, le Lycée Impérial, la cathédrale Saint-Front… les images de jadis et celles d’aujourd’hui se superposaient. Martine Balout, historienne et archiviste de la ville, dont la générosité et la connaissance du pays m’ont vivement touché, emmenait un petit groupe fervent sur des sites parfois très humbles qui sont désormais dans les livres et ont fait leur entrée dans l’histoire littéraire.

Plus d’une fois je me suis détaché de la petite troupe, à la recherche des couleurs d’autrefois (la vieille ville, notamment, dans les années 60, était noircie par le temps et les pluies, tout comme le Paris d’avant Malraux), mais j’appréciais aussi de partager avec quelques proches la déambulation dans des ruelles qui n’avaient pas dû changer beaucoup depuis le temps des Bloy, et peut-être même depuis le Moyen-Âge. Ces Proches étaient mon Kolia, bien-sûr, mais aussi le père dominicain Augustin Laffay, rencontré récemment et devenu quasi instantanément un ami très cher, et Alain Joubert, fondateur des Amis de la Musique Française, qui m’a fait don également d’une amitié précieuse. Je lui avais été présenté il y a dix-sept ans par la violoniste Marie-Thérèse Ibos et nous avions travaillé ensemble sur une belle brochure consacrée à Georges Auric. Auric, un des derniers visiteurs de Bloy… et c’est encore Bloy qui devait, longtemps après, orchestrer nos retrouvailles. Alain a ouvert, en effet, une page bloyenne sur son site, destination toute naturelle du présent récit.

17h00, médiathèque : exposition (Périgueux possède un riche fonds d’archives de l’écrivain) et conférences-lectures. Le directeur, Jean-Marie Barbiche, s’est, lui aussi, dépensé sans compter pour assurer la réussite de la journée, allant même jusqu’à prêter son concours à une lecture à quatre voix de L’Exégèse des lieux communs en clôture des festivités ! Quant au maire, Antoine Audi, il nous assura qu’il avait remisé au placard tous les lieux communs possibles avant d’attaquer son discours de bienvenue ! Dans les vitrines de l’exposition, deux objets ont attiré tout de suite mon attention. Le premier, un grand arbre généalogique de la famille Bloy, remontant jusqu’au XVIIIe siècle, élaboré par le Cercle de Généalogie du Périgord et présenté par Claudine Filet, est une réalisation d’autant plus remarquable que nous parlons d’une lignée sans le plus infime quartier de noblesse, dont la remontée dans le temps a certainement demandé des recherches patientes et approfondies. Le deuxième objet – dernière allusion, c’est promis, à mon premier voyage – est une photo de 1967 où l’on distingue un petit garçon se tenant debout entre ses grands-parents, et s’embêtant ferme en écoutant un discours du maire de l’époque, Yves Guéna !

 
Ces trois photos © nous sont généreusement concédées par la Ville de Périgueux 
via la Directrice du Service Patrimoine Ville d’Art et d’Histoire, Martine Balout
Exposition à la Médiathèque Pierre Fanlac, son conservateur Jean-Marie Barbiche, Alexis Galpérine, arrière-petit-fils de Léon Bloy, monsieur Antoine Audi,  maire de Périgueux et sa collection personnelle reliée d’ouvrages de Léon Bloy
 

Le comédien Thierry Lefever a ouvert la séance des conférences par une lecture savoureuse de quelques Histoires désobligeantes, et puis je fus invité à parler au nom des miens. Je n’avais pas préparé cette intervention, non par légèreté, on s’en doute, mais parce que l’improvisation et l’échange avec le public étaient certainement la forme la plus appropriée pour trouver le ton juste, celui de l’évocation, avec ses résonances intimes, éloignée par nature de tout sujet d’étude ou d’analyse. Après tout, je ne suis pas un universitaire, encore moins un théologien ou un spécialiste de la chose littéraire. Au fond, je crois qu’il m’importait de livrer des sentiments plutôt que des idées, et d’abord le fait que j’ai aimé Bloy avant de le lire, condition préalable, ai-je ajouté, pour le comprendre vraiment. En second lieu, j’ai confessé ma lassitude, pour ne pas dire plus, d’entendre sempiternellement les mêmes idées reçues, usées jusqu’à la corde comme des slogans, mais toujours présentes, surtout quand la presse me demande si j’ai pardonné (!?) les violences de mon aïeul (je faisais allusion à une interview parue le jour même dans un journal local). Qui suis-je pour pardonner ? Pour pardonner ou défendre un homme et un artiste devant lequel je m’incline, en vérité, avec un infini respect ! Tel fut le leitmotiv principal de la partition que je fus invité à jouer ce jour-là. Le frère Augustin me prêta son renfort, illuminant la séance par sa seule présence et la souveraine autorité, quoiqu’exprimée avec la plus grande douceur, de son verbe puissant. En l’écoutant, je méditais une fois de plus sur la qualité exceptionnelle des amitiés que Bloy a le pouvoir de susciter, un phénomène qu’il a connu lui-même quand vinrent à lui les Maritain, les Van der Meer, les Termier, les Rouault, quelques autres encore, illustres ou obscurs, dont la noblesse d’âme ne fut jamais prise en défaut, constituant par là-même une famille spirituelle dont le rayonnement, à un siècle de distance, continue d’embraser les cœurs et les consciences. François Gadeyne a rafraîchi les esprits par sa verve contagieuse, souvent d’une extrême drôlerie, sans pour autant perdre sa hauteur de vue, lui dont les travaux sur le Père Tardif de Moidrey, grand exégète catholique de la Bible, éclairent l’origine de toute la pensée religieuse de Bloy.

 
 
 
 
Amphithéâtre Jean Moulin : les interventions
Augustin Laffay, Alexis Galpérine, Jean-Marie-Barbiche
 
 
 
 
 
Ces deux photos © nous sont généreusement concédées par la Ville de Périgueux 
via la Directrice du Service Patrimoine Ville d’Art et d’Histoire, Martine Balout
 
 
 
 

Il fut bien difficile de prendre congé, et nous avons couru, Nicolas et moi, pour sauter dans le TER de Bordeaux. Dans le TGV du retour, la fatigue n’a pas eu raison de notre besoin de parler, de parler des lectures essentielles, et des liens invisibles qu’elles tissent dans nos vies, en favorisant parfois quelques rencontres décisives. Nous nous sommes séparés à Montparnasse, dans un quartier de Paris qui me ramenait encore et toujours à mon enfance chez mes grands-parents, à deux pas de là, à l’angle de l’avenue du Maine, et où devaient s’éteindre fort logiquement les derniers feux d’une journée mémorable.□


À la recherche de Léon Bloy

pour le centenaire de sa disparition

Jean Alain Joubert
22 octobre, novembre 2017

 

 

 

 « Il ne faut pas prendre Léon Bloy pour un théologien ou pour un docteur ;
c’est un imagier, un enlumineur, un peintre de verrières resplendissantes. »
Jacques Maritain, Léon Bloy par son filleul[1].
 
« Voilà un homme d’une rare puissance verbale, le plus somptueux écrivain
 de notre temps, dont les livres atteignent, parfois, à la beauté de la Bible.
Ne cherchez ni dans Chateaubriand, ni dans Barbey d’Aurevilly,
 ni dans Flaubert, ni dans Villiers de l’Isle-Adam, une prose plus architecturale,
d’une forme plus riche, d’un modelé plus savant et plus souple.
Dans quelques pages du Désespéré, par-delà d’antipathiques violences
 et des malédictions disproportionnées, il s’est élevé
 jusque vers les plus hauts sommets de la pensée humaine. »
Octave Mirbeau, Le Journal, 13 juin 1897
 
 

Dans la banalité du rituel des jours : la fulgurance d’un diamant rachète la poussière de tous les autres.

Et ce samedi 21 octobre 2017 fut l’un de ces jours qui se voulait telle une indulgence, pour laquelle nos mérites ne comptent pour rien.

Le mérite en revient à quelques autres, nous allons le dire.

Nous devons cette journée mémorable au Service Patrimoine Ville d’Art et d’Histoire − dont l’objectif est de mettre en lumière des périgourdins illustres dans la ville et les lieux afférents à leur histoire −, en partenariat avec la Médiathèque Pierre Fanlac et le Cercle de Généalogie.

La directrice du Service Patrimoine Ville d’Art et d’Histoire, Martine Balout, est par ses recherches personnelles, depuis le colloque du 22 au 25 août 1988 [colloque organisé par la Société des Études Bloyennes et la Shap, avec Michel Arveiller, l’abbé Robert Bouet… ], la conceptrice passionnée de ce parcours bloyen exemplaire (comme de tant d’autres), dont j’avais eu le privilège de la découverte partielle en clôture du congrès SHAP[2] & FHS[3] « Les Écrivains en Aquitaine », des 10 et 11 septembre 2016.

Averse désobligeante pour franchir les marches de l’autobus.

Aussitôt, le sourire accueillant de Martine Balout efface ce désagrément qui ne sera pas un signe funeste. Elle est accompagnée par Valentin Coupri qui va officier avec talent comme photographe.

Alexis Galpérine a fait un aller et retour entre Paris et Périgueux dans la journée, avec son fils Nicolas, pour honorer le souvenir de son arrière-grand-père. Il est là dans le bus avec son ami, frère Augustin Laffay. Plaisir de se retrouver, depuis mon escapade à Soumensac le 1er juillet.

Joël, chauffeur de grand mérite et notre irremplaçable animatrice nous autorisent la visite des lieux que foula de ses pas le jeune Bloy.

Et tout de suite, « Fenestreau » sur la colline de Promsault-Les-Cébrades (à cinq kilomètres de la maison de mes grands-parents) sur la route de Bergerac.

En paraphrasant Reynaldo Hahn, il nous vient à dire « c’est pas Périgueux, c’est sa banlieue » ou Notre-Dame-de-Sanilhac − qui depuis peu s’est départi de Notre-Dame, pour s’appeler tout bêtement Sanilhac. Bloy en aurait été, à juste titre, furieux.

Ici, en ces lieux, le 11 juillet 1846, est né le second fils du couple Jean-Baptiste Bloy et Anne-Marie Carreau ; Léon précédant cinq autres fils !

Dans son Journal, Le Pèlerin de l’Absolu, Léon Bloy alors en séjour à Annesse[4], en septembre 2011, mentionne l’arrivée de ses filleuls, les van der Meer. Il vient en leur compagnie, le 7 octobre, faire une visite à Périgueux qui ne l’enthousiasme pas[5]. En observant le pâturage stupide qui a pris la place de ses chers arbres entourant « Fenestreau », il exprime sa tristesse : « Douloureux serrement de cœur en apercevant de loin le petit domaine paternel, aliéné depuis longtemps, qui fut le lieu de ma naissance et de mes premières années… ». Pierre van der Meer s’est montré plus disert sur cette visite[6], même si son ressenti diverge peu de celui de son parrain.

L’actuel propriétaire, monsieur Migot, et ce depuis trois générations, nous fait le cadeau d’accueillir notre long bus dans cet étroit chemin ascendant jusqu’au promontoire de cette demeure mythique (qu’il ne nous avait jamais été donné de voir) afin que notre groupe puisse du regard embrasser le somptueux panorama de Périgueux ; depuis la colline d’Éscorneboeuf, se dévoilent la Tour de Vésone, les églises de la ville, depuis celle de la Cité jusqu’à celle de Saint-Georges, en passant par la cathédrale Saint-Front : le Périgueux de la foi en perspective, que notre écrivain baptisera cependant de « désert des âmes et des intelligences » !

Lieu de jeux : la Fontaine des malades, le moulin de Cachepur qui existait encore au temps de ma jeunesse.

Au temps des vertes années de Léon Bloy, la ligne de chemin de fer n’avait pas encore séparé Prompsault de Périgueux.

Nous remontons la rue Léon Bloy, bien modeste hommage de la Ville à l’écrivain, pour apercevoir le Lycée Impérial de Périgueux devenu Lycée Bertrand de Born.

C’est ici que j’ai moi-même poursuivi mes études secondaires en compagnie de quelques brillants camarades[7]. Si, à l’instar de Léon Bloy, je n’ai pas eu à brandir un petit couteau pour régler mes comptes, j’ai eu par contre à donner quelques méchants coups pour mettre un terme à des agacements répétés qu’avait inspiré, à des crétins en herbe, ma petite taille ! La halte me laisse donc un souvenir mitigé si ce n’est le souvenir de quelques professeurs que j’avais apprécié particulièrement ou de quelques autres que je m’étais plu à faire enrager !

Puis, c’est l’ex-gendarmerie dominant la place Francheville qui, en ce temps-là, avait accueilli la foire de la Saint-Mémoire fin mai.

Notre chauffeur nous a déposés au feu du carrefour du cours Fénelon et du boulevard Lakanal pour une escapade depuis la place Hoche, en remontant la rue Milor (qui perd son d sur la plaque) pour découvrir la noble bâtisse (qui appartenait aux grands-parents paternels) de la rue Séguier où les parents de Léon avaient fait le choix de s’installer, afin de permettre un accès scolaire plus serein à leurs fils. En remontant la rue jusqu’à la Tour Mataguerre, quartier longtemps louche, nous avons aperçu notre bus aux arrêts afin de poursuivre notre visite sans plus de halte piétonne, remontant le cours Montaigne de manière à apercevoir la maison natale du cousin germain de Léon Bloy, Émile Goudeau, sur la place du Palais de Justice, ensuite la rue Victor Hugo où des lieux avaient été soit des demeures de parents de la famille Bloy, soit des bureaux de la Compagnie des Chemins de fer d’Orléans où le jeune Léon Bloy avait fait un début d’apprentissage.

Notre chauffeur nous dépose devant la Médiathèque Pierre Fanlac. Un grand merci pour son calme souverain lors de manœuvres que je n’aurais jamais voulu entreprendre.

Je retrouve dans le hall de la bibliothèque, mes voisins parisiens en villégiature à Montrem prévenus le matin même et ma chère collègue Evelyne.

Accueil discret et souriant du nouveau conservateur et directeur de la Bibliothèque de Périgueux, Jean-Marie Barbiche, belle exposition dans le Hall, arrivée du maire de Périgueux avec sa collection personnelle d’ouvrages de Bloy reliés de cuir vert, et la présence d’un spécialiste périgourdin de Bloy, Jean F. Dénoyer à qui je dois mon éveil à cet auteur[8] dont quasiment seul le nom nous est familier, mais qu’il était coutume, il fut un temps, de ne le prononcer qu’en se signant[9] !

Claudine Filet, vice-présidente du cercle de généalogie explicite les origines de cette famille à partir d’un tableau exposé et partie intégrante de l’exposition.

Dans une des vitrines, on peut lire une lettre à la superbe écriture, signée de notre chère amie Denise Robin, en 1967, pour l’organisation du cinquantenaire de la disparition de l’écrivain.

Après quelques échanges entre Alexis Galpérine et le maire de Périgueux, nous voici installés au second rang de l’amphithéâtre Jean Moulin.

J’émets le vœu que chaque intervenant puisse nous confier un texte qui soit un reflet de ces échanges si heureusement conduits.

Alexis Galpérine nous met en garde contre les idées reçues sur son arrière-grand-père, qui était adoré de son épouse et de ses filles, malgré une vie de perpétuelle misère. Bloy était un homme de bonté, de droiture, de conviction et apolitique.

Augustin Laffay[10] nous convainc de l’indispensable préalable pour entendre Bloy : il faut aimer le personnage avant d’aborder son œuvre.

La lecture mordante des Histoires désobligeantes par Thierry Lefever a donné, j’en demeure persuadé, à tous les participants le désir de découvrir le seul écrivain périgourdin dont nous sommes une large majorité à ignorer ou largement méconnaître les œuvres et la vie, exception faite d’une réputation sulfureuse imméritée.

François Gadeyne donne une image lumineuse de ce jeune périgourdin si atypique qui faisait nourrir bien des inquiétudes à son pauvre père. En lisant les lettres que le jeune Bloy de dix-huit ans écrivait à ses parents depuis Paris, il a pu s’interroger, car l’on n’écrit pas de manière aussi accomplie à cet âge. Il a peut-être eu le sentiment que le génie soufflait déjà sur son fils, mais jamais il ne saura qu’il deviendra une des plumes les plus accomplies de toute la littérature française.

Feu d’artifice final, avec l’Exégèse des lieux communs, à la fois acerbes et coruscants, interprétés par un quatuor en verve.

 
 

 

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« On devrait, après tant et de si hautes œuvres,
n’avoir plus besoin de tirer l’épée quand on parle de Léon Bloy…
Après trente années de misère et d’insuccès, il s’est pourtant gardé tout pur
et tout vibrant, le grand Pauvre. Isolé parmi les écrivains de ce temps,
il dresse une haute figure de moine guerrier… »
André Dupont, Léon Bloy et l’argent[11]
 
« Un livre de Bloy n’est pas un passe-temps.
C’est une lecture dangereuse car Bloy fait irruption dans la vie même du lecteur !
Il touche des intellectuels, des poètes, des gens très simples et des savants.
Il ne les touche pas seulement un peu mais pour la vie… »
Pierre van der Meer de Walcheren, Rencontres[12]
 

 

 

Quel personnage se révèle en ce zélateur animé de la « fureur du juste », en ce « guerrier de la plume », en ce « contempteur » autant que « contemplateur », en ce « saint » selon Jeanne, son épouse ?

Dans son ouvrage, Sur l’art et sur la vie, le peintre Georges Rouault, brosse un portrait réaliste de l’écrivain : « Reportez-vous à l’époque et voyez un homme vêtu comme un ouvrier charpentier, d’un complet de velours à côtes qui coûtait deux louis ou à peu près, portant de gros souliers, et parfois le bâton du pèlerin où s’appuyait sa forte main. Je revois sa mèche blanche sur le front et ses gros yeux qui devenaient si facilement menaçants, si facilement miséricordieux. […] Je pus constater la bonhomie de Léon Bloy. Il en montrait quand on le connaissait bien, il était un Bloy bon enfant qui lisait aux siens des histoires de Mark Twain. […] En aucun ordre il ne fallait attendre du Désespéré des arrangements diplomatiques. […] Il mourut de l’avant-dernière guerre. La mort d’amis qui lui furent, par elle, ravis et qui lui étaient chers lui porta un coup cruel car son amitié allait très loin. Bloy sous une allure rude, était très tendre, véhément, dur aux puissants et, quand on l’a bien connu, dur à lui-même. […] On a voulu qu’il fût très exactement « Mendiant ingrat » ce qu’il n’a pas démenti ; on a oublié de dire que, souvent et silencieusement, il aida autrui. […] Bloy n’était déclaré insociable que parce qu’il allait contre tout conformisme, sans soucis des circonstances, des préjugés, des chapelles|[13]. »

L’écrivain n’éprouvait pas d’hostilité à se dépeindre lui-même assez crûment : « Mais vous savez que les juges se trompent quelques fois. Dans mon cas très particulier, je vous prie d’imaginer […] un agneau dissimulé sous la peau d’un tigre, ou, si vous le préférez, un vieil âne très doux sous la menaçante carapace d’un rhinocéros. Vous vous formerez ainsi une idée approximative de l’auteur de tous mes livres[14] … »

« Ce visage qui vous trouble vraiment, le regard qui est extrêmement pénétrant à l’image de ce qu’il écrit, les phrases, les pages de Bloy nous traversent et nous transpercent et je crois qu’il n’y a pas de césure chez cet écrivain-là entre la personnalité, l’être intime et ce qu’il écrit, il est entier[15]. » Emmanuel Godo, dans la conclusion intitulée « L’Écrivain paradoxal », de sa biographie[16], écrite d’une plume que François Gadeyne décrit comme « le miel attique au bord de la coupe » relève que « la pauvreté devient un signe d’élection, où la fausse puissance disparaît dans sa propre vanité, où la souffrance vécue en toute connaissance de cause est l’aliment d’une joie sans limites. »

En septembre 1909, Vincent d’Indy, compositeur éminent, co-fondateur de la Schola Cantorum, qui avait reçu un exemplaire du dernier volume du Journal de Bloy, lui exprime son admiration : « Il serait, n’est-ce pas, tout à fait imbécile de vous dire que j’ai trouvé dans L’Invendable le superbe écrivain et le noble artiste déjà vu dans d’autres œuvres ; cela vous le savez bien, et le témoignage d’un simple musicien ne serait que pour vous faire sourire. Mais ce que j’ai trouvé de plus beau dans L’Invendable (et ce témoignage-là, vous ne le refuserez pas) c’est la joie rare de faire connaissance avec un homme de cœur et de courage, n’ayant pas peur de dévoiler toute sa pensée et, malgré des sévérités parfois cruelles, rempli d’une tendresse si exquise que j’en ai été profondément ému. Merci à vous de vous être livré ainsi et à votre livre de m’avoir si doucement conquis[17]. »

« C’est une voix ; Bloy c’est un style reconnaissable entre tous, une maestria extraordinaire, c’est un des prosateurs les plus merveilleux de la langue française, même ses ennemis, je crois, en conviennent, il a une écriture d’une force inouïe[18]. Ce qui est frappant, c’est que l’on va avoir tendance à le réduire à son rôle de pamphlétaire et à son rôle de vociférateur. Il s’est lui-même reconnu comme un belluaire, comme un démolisseur, un entrepreneur de démolition, un exégète des lieux communs donc quelqu’un qui va attaquer la pensée de son temps, de front. Ce qui me frappe moi, c’est l’unité de cette oeuvre, c’est-à-dire qu’il y a une très grande force qui ne tient pas simplement à une inspiration, une virtuosité, un talent, un génie, on peut appeler cela comme on veut, mais il y a une vraie pensée chez Bloy, elle est d’une cohérence inouïe et c’est ça qui frappe[19]. »

Il y a encore ce merveilleux témoignage, d’un de ceux qui aimait Bloy et qui était doté lui aussi d’une plume clairvoyante et engagée, Georges Bernanos : «  […] Cet écrivain, et qui le fut au point de ne jamais vouloir être autre chose, dût-il crever de faim, celui qui exerça tant d’années, de taudis en taudis, de propriétaire en propriétaire, le Sacrement de Littérature, sera toujours un étranger pour les gens de lettres. Un moment, un court moment, vers 1920 peut-être, ces Messieurs furent visiblement tentés de donner une place au mort, de le traiter, pour la première fois, comme un des leurs. Je me disais, à part moi, que le vieux réfractaire devait se retourner dans sa tombe – de colère ou de plaisir, qui sait ? Mais les professionnels n’ont pas supporté longtemps l’amateur génial, le vieil enfant jaloux de Dieu, plein d’images prophétiques, le vagabond affamé de bonheur dont l’ingratitude légendaire était, comme la générosité, royale, le vieux cœur enflé de colère et débordant de tendresse, le justicier plein de pardon. […] Ils nous ont donc rendu notre Léon Bloy, notre vieux Bloy, avec ses qualités, ses défauts, son orgueil d’enfant ou d’ange, ses partis pris cocasses, ses balbutiements qui tout à coup éclatent dans une image immense et comme suspendue dans le ciel[20]. »

En 1895, Octave Mirbeau évoque l’art, la manière d’être, de vivre de Bloy, de faire jaillir la quintessence d’une pensée ulcérée et sainte : « Comme il n’y a plus de désert, Léon Bloy a trouvé un silo. Il s’est creusé lui-même la fosse de ses mains ; il a creusé son corps d’ulcères liturgiques, il a bordé sa fosse de culs de bouteilles, de clous, d’excréments déclamatoires pour la rendre inaccessible, pour être plus nu, pour être plus seul avec son humilité sainte et son saint orgueil, plus seul avec Dieu. De cette fosse, il jette aux passants des bouses de lumière et d’éternité, des haines d’or, le verbe le plus sauvage et le plus magnifique, lourd et pénétrant comme la lave et l’aérolithe. Le pire sadisme pour les martyrs, c’est d’avoir l’air de bourreaux : Léon Bloy a réussi. Confesseur de la Pauvreté, de la Mort, de la Foi, portier farouche de la Porte de Vie, voilà l’homme que j’ai essayé d’admirer ce soir[21]. »

Happé par le regard vivifiant d’un autre invité au festin, l’écrivain Michel Fourcade m’autorise ce partage : « Il faut entrer chez Bloy comme dans une famille, et c’est ainsi que je le tiens pour le chef de mon Ordre à moi, qui suis laïc, cherchant dans ses ouvrages le point de départ de ma généalogie spirituelle, la source d’où tout mon XXe siècle a jailli, le charisme dans son état brut, l’intuition décisive toute plissée encore, sanguinolente, bourrue, intempestive, en plein travail d’enfantement. C’est le fil qui me tient, et ma fidélité, mon sang bleu, mon panache, et je ne crains personne…

Il y a des choses que je ne peux pas faire après lui (et par exemple un rond de jambe ou une bonne affaire, une conversation mondaine, un plouf dans un bénitier, parler pour ne rien dire, une carrière…), il y a des voies sacrées qui seraient restées condamnées sans La Femme Pauvre, Le Salut par les Juifs – sans sa hache et ses premières brèches.  […] Respecter la distance : j’ai gardé pour occuper l’éternité quelques sujets de désaccord dont nous deviserons un jour, calmement et dans la vision, dans quelque coin du ciel ; rien ne presse. Aller à l’essentiel : le temps a emporté la gangue « fin de siècle », et à travers l’amplification dramatique des formes, le tri s’opère comme intuitivement entre les versets aurifères et ceux qu’on lui pardonne.

Surtout ne pas chercher à imiter : la parodie de Bloy, ce n’est pas simplement une faute de style, c’est un blasphème[22]. »

Ce qui échappe, à tous ceux qui frôlent le sens fondamental du christianisme, à ceux qui ont fait le choix d’une religion de consolation, de réconfort ou pire à ceux qui sont adeptes de l’option décorative des « Bien Pensants[23] », c’est « l’exigence de Dieu ». Animé de cette exigence absolue, Bloy, « Don Quichotte du divin » en appelle en permanence aux Béatitudes, au christianisme prophétique et justicier de l’Apocalypse et encore au christianisme fraternel de l’Église primitive. À cela s’ajoute, fin des années 1870, une rencontre marquante avec l’abbé René Tardif de Moidrey qui porte dévotion à la Vierge de La Salette et qui, par ses prédications, ouvre des « horizons splendides » sur l’Écriture sainte. La disparition brutale de l’abbé, en 1879, mettra un terme à leur projet commun d’un ouvrage sur l’apparition de La Salette. Bloy y travaillera seul jusqu’à sa mort sans l’achever[24]. Lors de son apparition, la Vierge en pleurs rappelle le rôle intercesseur et sublime de la douleur, de ce « catholicisme de ceux qui n’ont pas de joie en ce monde et dont la souffrance crie vers les plafonds du Paradis ; le catholicisme des vaincus, des saignants, des sanglotants, des maudits, des désespérés, de ceux qui ont faim et soif, de ceux qui gèlent et de ceux qui brûlent, le catholicisme des grandes âmes[25]. » Elle reproche aux hommes des temps modernes d’avoir abandonné Dieu. Bloy va relever le défit d’un retour à la vocation des premiers chrétiens, ce « petit troupeau » dédié à sa foi, en réunissant autour de lui les « Apôtres des Derniers Temps », vœu de Mélanie, la bergère de La Salette. « Le vieux de la Montagne » ainsi qu’il se désigne – titre par ailleurs de son Journal de 1907 à 1910 – installé sur les hauteurs de Montmartre, devient le « berger » d’une petite communauté fervente : l’aumônier de la flotte Pient Cornuau, René Martineau, Philippe Raoux, Georges Rouault et son épouse, la famille Termier, le couple Maritain, le couple van der Meer… « Tout au long de sa vie, Bloy s’est battu pour la maturité spirituelle de ses coreligionnaires, pour les tirer du ghetto étouffant où ils s’étaient enfermés, par peur des idées modernes et de la libre vie des enfants de Dieu. […] De cela, ses amis de 1900 à 1917 n’ont jamais douté. Ils vivaient ensemble autour de Bloy comme dans une oasis spirituelle. Bloy vivait intimement avec ses filleuls tous les événements marquants et tous leurs soucis. Il apparaît à travers ses lettres avec quelle tendresse il nous aimait tous[26]. Ce violent[27] avait soif de sympathie, d’amitié, d’amour. Ses colères et son indignation sont le revers de ce besoin jamais apaisé d’amour, l’amour humain et divin… l’atmosphère paradisiaque dans laquelle nous avons vécu pendant ces années, avec Léon et Jeanne, Jacques et Raïssa, laisse encore toujours, dans notre mémoire, un souvenir très pur de joie et de bonheur, bien que, à cette époque déjà, les soucis, les difficultés et les tristesses ne nous aient pas manqué ! Mais nous les avons acceptés comme des dons de Dieu, car nous avions compris ce que notre parrain voulait signifier lorsqu’il disait : Tout ce qui arrive est adorable. » […] Nous formions une grande famille unie, dont chaque membre pensait à tous les autres, où tous vivaient les uns pour les autres, avec un intérêt sincère et une fervente affection. Manifestation tangible de la communion des Saints[28]… »

Lié à Bloy, Pierre Termier lui voue une profonde admiration. Pour lui, l’attitude de martyr de Bloy, n’est pas une posture mais le consentement au Sacrifice d’un authentique chrétien, habité par l’absolue conviction de celui qui vit la Présence Divine, et qui sait que Dieu sera le plus fort : « Oui, la cathédrale, voilà le vrai Léon Bloy : artiste somptueux, pénitent très humble ; imprécateur terrible, intercesseur plein de pitié ; promulgateur d’absolu, ami tendre et indulgent ; chantre magnifique de la Gloire et de la Misère, de la Joie et de la Douleur, de la Vie et de la Mort, de la Justice et de la Clémence, de la Foi, de l’Espérance, et par-dessus tout, de l’Amour[29] ! »

Léon Bloy saisissant et tendre, ne serait-il pas le prophète moderne ouvrant le temps de l’Apocalypse. « Il faut être arrivé, après tant de générations, sur ce seuil de l’Apocalypse et être ainsi devenu spectateur d’une abomination universelle que ne connurent pas les siècles les plus noirs pour sentir l’impossibilité absolue de toute espérance humaine[30]. » Ainsi, « il n’y a plus d’espérance humaine. Nous sommes à l’automne du monde. » Homme de profonde et absolue conviction, il n’acceptera jamais ce reniement ultime de Dieu par la horde des prédateurs sans loi. Ce guerrier de la plume « vomissait les catholiques mondains et bourgeois », préfigurant par des textes sublimes sur les souffrances du peuple juif et sa pensée apocalyptique, la Shoah. « Il avait vu l’exploitation de l’homme par l’homme se mettre en place, senti l’enfer créé par la société industrielle[31]. » Sa véhémence l’aura fait « victime de beaucoup d’injustice… son succès fait son opprobre. Avec lui, on est dans un monde sans compromission », confie son arrière petit-fils, Alexis Galpérine.

Depuis notre Lycée Bertrand de Born jusqu’au prestigieux Lycée Henri-IV à Paris, François Gadeyne conserve sa fidélité à Léon Bloy jusqu’à déclarer : « J’espère que cet hommage n’est qu’un début, car Léon Bloy mériterait que la Ville fasse autant pour lui qu’une Ville comme Charleville-Mézière fait pour Rimbaud. On est en train de mesurer l’importance et l’impact de cet auteur. On lui fait justice. » Et nous périgourdins, aurons-nous enfin la curiosité de lire Léon Bloy ? N’est-il pas l’heure de s’enorgueillir du nom de ce génie littéraire et spirituel, de cet « enlumineur », de ce « peintre de verrières resplendissantes » ?

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[1] Jacques Maritain, « Léon Bloy par son filleul », Léon Bloy, Essais et Pamphlets, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2017, p. LVIII.
[2] SHAP : Société Historique et Archéologique du Périgord.
[3] FHS : Fédération Historique du Sud-Ouest.
[4] Annesse et Beaulieu, commune située en Dordogne, entre Périgueux et Saint-Astier du côté ouest de l’Isle.
[5] Léon Bloy, Journal II, 1907-1917, Le pèlerin de l’Absolu (1910-1912), Paris, Éditions Robert Laffont, Bouquins, 1999, p. 247-248.
[6] Pierre van der Meer de Walcheren, son épouse et leur fils Pieterke, invités par Léon Bloy, s’étaient installés pendant l’arrière-saison 1911, auprès des Bloy, dans la villégiature de Taillepetit à Annesse. Dans son ouvrage intitulé Rencontres (Paris, Desclée de Brouwer, 1961, p. 44-45), Pierre van der Meer conte leur visite sur les lieux de naissance de Bloy : « … nous pûmes persuader notre parrain de nous accompagner à Périgueux pour nous montrer la vieille ville et nous indiquer sa maison natale. Cette maison c’est de loin que nous la vîmes. Elle était située un peu en dehors de la ville. Le bâtiment avec ses annexes basses, la grille, la muraille du jardin, la petite tour carrée et le pigeonnier, était abandonné, nu, sans âme. Bloy le regarda sans rien dire, comme une chose étrangère. Les arbres qu’enfant il avait connus et aimés comme de paisibles compagnons avec lesquels on cause, n’étaient plus là. Où était l’image, la chaude image de la réalité disparue, lourde de nostalgie, qu’il avait emportée et portée en lui, voici plus de cinquante ans ? Il ne voulait pas s’en approcher davantage de ce passé détruit. Je me trouvais à ce moment à côté de notre vieux parrain et j’ai ressenti en moi la tristesse du pèlerin douloureux que Bloy était devenu du fait de cette mutation qu’avaient subi les choses auxquelles, depuis ces lointaines années, il était malgré tout demeuré attaché. Il souffrait de revoir la maison si délabrée et dans un si complet abandon. Avec son bâton, Léon nous indiqua, au premier étage, la fenêtre de la chambre où lui et ses six frères étaient nés. Puis il se détourna et dit doucement : « Allons dans ma vielle Cathédrale prier pour toutes ces âmes. » C’est ce que nous avons fait dans la splendide basilique, romano-byzantine de Saint-Front (Bloy exprime dans son Journal un avis tout différent). Puis Léon nous a conduits, pendant notre promenade à travers la ville, jusqu’à la tour romaine de Vésonius. »
[7] Parmi ces camarades, un était si exceptionnellement brillant qu’à vingt ans une méningite eut raison de lui, un autre, sportif et futur dentiste, amoureux du concerto pour violon de Mendelssohn dont il sifflait à l’envie le thème du mouvement initial Allegro molto appassionato fort musicalement, deux autres devinrent d’éminents archéologues et docteurs en préhistoire, le neveu de Jean-Paul Sartre, charmant garçon avec lequel je partageais un même prénom et qui me ravit une année in extremis le premier prix de français, un artiste peintre de grand talent, un ministre et académicien qui fut aussi maire de Périgueux, Michel qui devint danseur au Grand Théâtre de Bordeaux, et se fit connaître comme écrivain.
[8] Jean Dénoyer, « La villégiature de Léon Bloy sur les bords de l’Isle pendant l’été 1911 », Les Écrivains en Aquitaine, Actes du congrès de Périgueux des 10 et 11 septembre 2016, Périgueux, Bulletin SHAP, Tome CXLIV, 2e livraison, été 2017, p. 217-227. Guerre et Apocalypse dans l’œuvre de Léon Bloy, Cercle d’Histoire et de Généalogie du Périgord, n° 117, 2e trimestre 2016, p. 9-13.
[9] « Poète, artiste, mystique et chrétien amoureux, tel est cet homme extraordinaire, si peu connu encore et si mal jugé. », Pierre Termier, Introduction à Léon Bloy, Paris, Desclée de Brouwer et Cie, 1932, p. 71-73.
[10] Augustin Laffay est l’auteur de la conséquente préface, Sainteté de Léon Bloy, du tout récent volume, Léon Bloy, essais et pamphlets, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2017, pages VII à XLIII.
[11] André Dupont, Léon Bloy et l’argent, Mercure de France, 16 février 1910. Léon Bloy, Journal II, 1907-1917, Paris, Éditions Robert Laffont, Bouquins, 1999, p. 4.
[12] Pierre van der Meer de Walcheren, Rencontres, Paris, Desclée de Brouwer, 1961, p. 51-52.
[13] Georges Rouault, Sur l’art et sur la vie, Paris, Éditions Denoël/Gonthier, 1971, Folio/essais, 2008, p. 72-75.
[14] Lettre à une lectrice dont il est fait mention dans Le Pèlerin de l’Absolu, le 22 janvier 1911, Léon Bloy, Journal, volume II, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1999, p. 206-207, citée par Augustin Laffray, Ibid., p. XXII.
[15] Emmanuel Godo, interview sur RCJ du 27 octobre 2017.
[16] Emmanuel Godo, Léon Bloy, écrivain légendaire, Éditions du Cerf, 2017.
[17] Léon Bloy, Lettres à ses filles, Madeleine Bloy, Souvenirs d’enfance, présentation et Iconographie d’Alexis Galpérine, Sampzon, Delatour France, 2013, p. 177-178.
[18] « L’art de Bloy a pour caractères constant la magnificence et la force. Bloy est aisément magnifique, sans aucune peine, du moins sans aucun effort visible. Il fait de la magnificence avec les moyens les plus simples, avec les mots du langage ordinaire, arrangés suivant les formes classiques et traditionnelles. Sa prose, abondante et nombreuse, fait songer à ces grands fleuves d’Amérique, tour à tour impétueux et lents, terribles et doux, sombres et lumineux, toujours pleins de majesté et de sérénité, soit qu’ils se précipitent au tumulte des cataractes, soit qu’ils s’épanouissent en lacs tranquilles où se reflète l’immense azur du ciel. De la splendeur partout, que l’on n’attend pas, qui toujours étonne et qui, cependant, paraît naturelle et dont on ne peut plus ensuite se passer : splendeur des idées, splendeur des images, splendeur des mots eux-mêmes, d’où jaillissent de soudains éclairs. Et cette splendeur est intarissable. L’or et les gemmes ne coûtent rien à ce pauvre ; il les prodigue à pleines mains. À côté de sa richesse paradoxale, les autres écrivains ne sont plus que des indigents. On peut dire, en vérité, de lui, ce qu’il disait du peintre Gustave Moreau : “C’est un monstre de magnificence”. », Pierre Termier, Introduction à Léon Bloy, Paris, Desclée de Brouwer et Cie, 1932, p. 71-73.
[19] Emmanuel Godo, interview sur RCJ du 27 octobre 2017 à propos de la publication de son ouvrage Léon Bloy, écrivain légendaire, 2017, Le Cerf.
[20] Georges Bernanos, Dans l’amitié de Léon Bloy, suivi de Luc Estang, Présence de Bernanos, Paris, Plon, « Présences », 1947, p. IX–X.
[21] Octave Mirbeau, Léon Bloy, article publié sur la parution de La Femme pauvre, Le Journal, 1897.
[22] Michel Fourcade, texte publié initialement avec quelques variantes dans un livre d’Art de Nicolas ROZIER (gravures représentant divers écrivains avec textes en regard)  Tombeau pour les rares, Éditions de Corlevour, 2010, p. 33-35.
[23] « Je n’aime pas le dimanche ! Impossible d’échapper à la nécessité de ce monstrueux aveu. Le Jour du Seigneur est celui où les chrétiens se moquent de lui avec le plus d’attention et de ferveur. C’est le jour du triomphe hebdomadaire des Bien Pensants, le jour de la messe paroissiale où les smalahs de la dévotion raisonnable viennent offrir les lieux communs de leur piété. C’est le jour des toilettes hivernales ou estivales qui ne sont arborées que pour les visites sérieuses. C’est le jour où le curé toujours vénérable, quelque fois même florissant, annonce économiquement la parole de Dieu et flagorne son auditoire en promulguant l’émolliente supériorité du Conseil sur le dur Précepte évangélique atteint de caducité. », Léon Bloy, « Je n’aime pas le dimanche… », Méditations d’un solitaire en 1916, « Léon Bloy, essais et pamphlets », Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2017, p 1270.
[24] Bloy n’achèvera pas Le symbolisme de l’Apparition dont le manuscrit restera sur son bureau jusqu’à sa mort.
[25] Léon Bloy, Journal I, 1892-1907, L’Invendable (1904-1907), 28 avril 1904, Paris, Éditions Robert Laffont, Bouquins, 1999.
[26] « Léon Bloy semblait presque timide, il parlait peu et très bas, essayant de dire à ses jeunes visiteurs quelque chose d’important et qui ne les déçût pas. Ce qu’il leur découvrait ne peut se raconter ; la tendresse de la fraternité chrétienne, et cette espèce de tremblement de miséricorde et de crainte qui saisit, en face d’une âme, une âme marquée de l’amour de Dieu. Bloy nous apparaissait tout le contraire des autres hommes, qui cachent des manquements graves aux choses de l’esprit, et tant de crimes invisibles, sous le badigeonnage soigneusement entretenu des vertus de sociabilité. Au lieu d’être un sépulcre blanchi comme les pharisiens de tous les temps, c’était une cathédrale calcinée, noircie. Le blanc était au-dedans, au creux du tabernacle. », Raïssa Maritain, Les grandes amitiés, Paris, Desclée De Brouwer, « Livre de Vie », 1949, p. 112
[27] Sur la violence chez Bloy : « Cependant nous ne nous sentions pas étrangers dans la maison de Léon Bloy ; c’est que nous passions de ses livres à sa vie sans dénivellement. Tout, ici, était comme il l’avait dit : vraie la pauvreté, vraie la foi, vrai l’héroïque indépendance. Et lui, et sa femme, d’emblée nous avaient adoptés. Nous redescendîmes des hauteurs de la rue de la Barre et du Sacré-Cœur, enrichis d’une amitié singulière, si douce de la part de ce violent que dès ce premier jour de notre rencontre toute crainte nous avait quittés, et notre respect se fit audacieux et familier comme celui des enfants qui se sentent aimés. », Ibid., p 112-113 & « La plupart de ses contemporains – parmi ceux qui ne l’ont pas totalement ignoré – n’on su ou voulu voir en Léon Bloy qu’un écrivain atrabilaire, haineux, violent, aigri ; un pamphlétaire éloquent et redoutable, devant qui personne ne trouve grâce. C’est encore de cette façon que l’on a parlé de lui, au lendemain de sa mort. Il est difficile d’imaginer un jugement plus injuste, une appréciation plus incomplète et plus inexacte. Certes, il y a beaucoup de colère dans l’œuvre de Bloy, et aussi beaucoup de mépris : mais jamais sa colère, ni son mépris, ne procèdent de la haine. Il ne poursuit de ses invectives que les puissants de ce monde qu’il regarde comme des malfaiteurs ; et son mépris ne se déverse que sur ceux qu’il tient, à tord ou à raison, pour des médiocres et des imbéciles… », Pierre Termier, Introduction à Léon Bloy, Paris, Desclée de Brouwer et Cie, 1932, p. 36-37.
[28] Pierre van der Meer de Walcheren, Rencontres, Paris, Desclée de Brouwer, 1961, p. 66-68. Voir aussi la spécificité de cette communauté spirituelle page 36.
[29] Pierre Termier, Introduction à Léon Bloy, chapitre « Le vrai Léon Bloy », Paris, Desclée de Brouwer et Cie, 1932, p. 120-121.
[30] Léon Bloy, « Le mépris », Dans les ténèbres, Léon Bloy, essais et pamphlets, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2017, p. 1292.
[31] Un de ceux qui furent proches de Léon Bloy, l’écrivain Georges Bernanos écrivait après la Guerre de 39-45 : « Jeunes gens, on vous dit que les nations retrouveront la prospérité en se remettant à construire des machines, et vous faites le rêve imbécile de vos pères de 1900, lorsqu’ils s’imaginaient la paix universelle assurée par la concurrence pacifique du commerce et de l’industrie. Ah ! jeunes gens, ne soyez pas si naïfs ! votre nation, ainsi que la plupart des autres, construira des machines aussi longtemps que n’aura pas atteint son plein développement le gigantesque monstre économique […] Le jour où ce développement sera atteint – c’est moi qui vous le dis – , votre rêve d’un monde refait sur le modèle de celui qui vient de s’écrouler n’aura absolument plus de sens. On n’aura plus besoin de nous pour fabriquer des machines et on nous en refusera le droit. Il ne nous restera que celui d’en acheter à ceux qui auront conquis le monopole de la production et s’en seront assuré les marchés. Toute la puissance technique de l’univers est destinée à passer ainsi, tôt ou tard, entre les mains de l’organisation économique la plus puissante et la mieux outillée. La civilisation totalitaire et concentrationnaire se sera refermée sur vous. », La liberté pourquoi faire ?, Paris, Gallimard, Folio essais, 1995, p. 149-150.
 
 
 
 

 

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  Ainsi que Journal Inédit, volumes I, II & IV  
 
 
 

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